samedi, juin 17, 2006

Trêve de civisme

Hier dans le métro. La ligne 2 bondée. Ouf, pu m’asseoir à Menilmontant. Encore 8 stations. Toujours ce bien-être décuplé d’être assis quand tout le monde est debout. La rareté crée le désir. Ma place, tout le monde la veut. Mais je ne la céderai pas. Même pas pour un vieux ou une femme enceinte, à la rigueur un vieille femme enceinte avec des béquilles. Non, j’exagère, je ne suis pas à Paris depuis assez longtemps. D’ailleurs, quand je venais de débarquer de mon bled, j’avais tendance à céder ma place systématiquement à toute personne âgée de plus de 45 ans (élan pas toujours bien accueilli par les dits quadra offusqués), aider à porter des valises de 50 kilos (mine toujours étonnée devant mes 50 kilos et mes talons aiguilles), et bien sûr redescendre pour faire monter une poussette (toujours un grand moment d’émotion), proposer de porter les sacs de courses (là mes 50 kilos et mes talons aiguilles inspirent plutôt confiance, rapport à mon type maghrébin), guider des aveugles (pardon des non voyants). En parlant d’aveugles justement. Il y a deux ans (j’habitais encore dans le dix-neuvième), je venais d’entrer dans mon ED en passant par le rayon fruits et légumes quand je vois une vieille femme aveugle haranguant la foule (je sais c’est pas la bonne expression mais elle m’est venue comme ça alors je la mets): " est-ce que quelqu’un peut m’aider à choisir des pommes SVP ? ". Aujourd’hui, j’aurais peut-être fait la sourde oreille. Impensable il y a deux ans. Je lui choisis ses pommes, ses tomates, fais toutes ses courses, les lui porte jusque chez elle, lui donne mon n° de téléphone, si elle a besoin de quoi que ce soit. Justement, elle a besoin. Que je lui écrive une lettre pour l’administration qui a suspendu sa pension d’handicapée pour des raisons obscures. Elle vit seule et elle n’a que cette maigre pension pour seul subside. Emue jusqu’aux larmes j’étais. Comment se fait-ce dans ce beau pays si généreux envers ses pauvres, ses chômeurs, ses étudiants. Moi qui culpabilisais presque d’avoir droit à des APL en tant qu’étudiante, même étrangère, et toutes ces réductions pour la même raison qui semble si évidente ici et qui l’est si peu chez moi.
J’ai donc passé des heures et des heures à faire le scribe. Pas de quoi avoir une médaille, j’étais tout de même pas mal désœuvrée à cette époque. Elle me proposait toujours du jus de pommes ED et des biscuits ED et me bénissait de toute sa foi de bonne chrétienne. Je n'y étais pas insensible, moi qui ai si peu eu l'occasion d'être utile. Au fil d’une conversation et au détour d’une formule alambiquée dans le pur style administratif, je ne sais comment elle s’est retrouvée à me parler de Jean-Marie Le Pen. " Il est injustement diabolisé, vous savez. Au fond, il ne dit que des choses raisonnables ". Au fond, quel fond ? " C’est vrai que les juifs nous ont dépouillés, ils sont partout où il y a l’argent et le pouvoir ". Je m’étrangle avec mon biscuit ED. Au fond, toujours ce fond, elle est bien maligne la petite dame. Me sachant marocaine ("oui mais vous c'est pas pareil"), elle n’a pas voulu me servir la sauce anti-immigrés. Mais l’antisémitisme primaire, ce serait un bon terrain d’entente entre musulmans et chrétiens radicaux, non ? Je l’ai laissée se dépêtrer dans sa paperasse, franchement sans remords. Pas envie de faire d’efforts. Il m’est arrivé de la recroiser dans le quartier, toujours seule, toujours pitoyable. Toujours pris soin de l’éviter. C’est le côté pratique des aveugles, on peut facilement les éviter.

8 Comments:

Anonymous Anonyme said...

@Douda : c'est toujours l'"autre" Roumi.
Ben moi aussi j'aime bien aider les gens. Une fois j'ai aidé une vieille dame à rentrer dans son immeuble parce que la porte est trop lourde ; évidemment les portes d'immeubles sont toujours trop lourdes, surtout maintenant qu'elles sont toujours fermées et protégées par des codes !
J'étais très pressé ; je savais que j'allais rater mon train... et je l'ai raté... et j'ai attendu trente minutes le train suivant mais j'étais bien content quand même d'avoir aidé la dame... et cette dame ne m'a pas parlé de choses odieuses comme ton aveugle... du moins ma vieille à moi n'a pas eu le temps... bon heureusement tout le monde n'est pas comme cela mais il y a quand même pas mal de gens comme ça, un peu vieux, un peu aigri, ou tout simplement délaissés par la société, qui reportent leurs problèmes sur l'AUTRE (étranger, juif, homo, ...). Franchement j'aurais ressenti les mêmes choses si j'avais entendu parler cette femme.
"L'autre Roumi"

10:40 AM  
Anonymous Anonyme said...

Merci de me lire. Je ne pensais pas que l’expression narcissique des tribulations d’une amoureuse éconduite pouvaient intéresser de vrais lecteurs. Je viens aussi de découvrir votre blog par la magie des liens qui dessinent mes premiers pas sur la blogosphère. Je ne savais pas qu’ils allaient m’emmener si loin, au Canada, et pourtant si près, à la burka, se symbole qui cristallise tant de peurs et de fantasmes. J’aime l’esprit qui se dégage de votre billet (pas encore lu les autres, mais je le ferai, promis) et aussi les commentaires de vos visiteurs, tellement loin du cynisme et de l’indifférence ambiants.

5:10 PM  
Anonymous Anonyme said...

Un texte bien torché, mais une morale de l'histoire un peu pesante (si convenue, dans le fond)…

Finalement, tout en essayant de la contourner, je trouve que tu ne dépasses pas cette rhétorique sarkozienne vilipendée à demi-mots.

6:02 PM  
Anonymous Anonyme said...

Aucune morale dans l’histoire, juste des impressions livrées en vrac. Le processus de déniaisement (loin d’être achevé) d’une bleddarde à Paris, un petit clin d’œil attendri à la francophile bercée d’illusions que j’étais mais surtout ironique à la pseudo-âme-charitable (si peu moi) qui s’essayait à faire une BA mais qui était bien contente de trouver le premier prétexte d’y renoncer.

7:38 PM  
Anonymous Anonyme said...

Je suis tombé sur ton site par la magie des sauts de puce ; un burp, puis un autre, un lien par ci, un commentaire par là.

Deux billets lus en tout cas, deux qui m'ont plu, je poursuivrai la lecture chez moi.

Et même si c'est convenu, je ne vois pas où serait le tort de d'envoyer balader les premiers cons venus (et les suivants).

6:29 PM  
Blogger philippe psy said...

L'histoire est mignonne mais la morale de l'histoire, quelle est-elle?

Qu'une aveugle sans ressources peut crever seule si elle a osé parler de Le Pen ?

Pas de compréhension, ni d'empathie, rien. La condamnation tombe.

Etrange moralité. Il ya donc de bonnes pauvres aveugles pensant tout come vous, et des salopes de mauvaises aveugles ! Qu'on se le dise !

Quand aider les autres dans les limites de ce que l'on idealise devient un acte narcissique et non plus un don de soi.

Heureusement que les médecins ne soignent pas en fonction des idées politiques ou de la religion de leurs patients.

4:44 AM  
Blogger Douda said...

« Quand aider les autres dans les limites de ce que l'on idealise devient un acte narcissique » , excellent diagnostic mon cher psy, je laisse le don de soi aux médecins et humanitaires, je n’ai évidemment pas la vocation. Heureusement que je n’ai pas payé la consultation pour apprendre ce que je savais déjà.

10:41 AM  
Anonymous Anonyme said...

Ça me rapelle mon jeune médecin juif qui avait racheté son cabinet à un pied-noir. Il nous racontait qu'il avait perdu de la clientèle, parce qu'il était juif. Et il ajoutait avec un fin sourire: "ça tombe bien, je ne soigne pas les antisémites".

10:49 AM  

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