mardi, décembre 12, 2006

Ma mine à charbon

Ma boîte a été reprise, allégée de la moitié de ses salariés (quatre), mais pas de mon p’tit chef qui m’inflige toujours la vue de son profil incompétent et de sa face de faux-cul. Au-dessus de mon p’tit chef, y a une nouvelle chef-teigne : gloussement de poule et look catho du seizième modernisé chez Zadig & Voltaire. Etrange mélange de candeur niaise et de maternelle condescendance. Mais si touchante. A déjeuner, elle nous annonce qu’elle va adopter un bébé métisse, sur le ton badin des réunions Tupperware. Ça nous a tout de suite mis à l’aise. Pas une phrase sans caser son mari, sa belle-mère, ses neveux, ses filleuls, encore son mari, ses bons sentiments, son humanisme bien-pensant, ses mièvreries de midinette réac. Ça suinte de partout, ça dégouline, ça fond sur les pâtes, coulis de tomate et d’empathie, arrière-goût rance de confidences au parmesan. Ça écœure. Surtout mon autre collègue rescapé-celui que j’aime bien-, qui s’étrangle dans sa barbe, se noie dans ses cheveux, étouffe sa pizza, décide d’avaler sa langue. Le p’tit chef, lui, se croit obligé de surenchérir. Etalage de drames familiaux pour attendrir la patronne, quêter des points de sympathie, brader son cul pour garder son fauteuil de p’tit chef. On se croirait dans un mauvais vaudeville. Dans ma nouvelle boîte, y a aussi une vraie syndicaliste CGT( si si, avec des « camarades », des tracts et des antidépresseurs). Elle vient nous prévenir qu’on a atterri dans le fief des méchants capitalistes qui exploitent leurs salariés avec des RTT imposées. « On est presque revenus au temps des mines à charbon », que je m’insurge. Mais je ne devais pas paraître crédible. Elle, c’est une vraie révoltée. L’indignation dans le décolleté et les formules du parfait syndiqué : « Y a de petites entreprises, mais y a aussi des entreprises petites ». C’est beau des seins en furie. Et puis ses mines de bête traquée, ses délires de persécution : le patron qui trafique les chiffres avec la complicité des commissaires aux comptes à la Enron, le DAF qui l’agresse en plein couloir devant les salariés réduits au silence, les faux syndiqués à la botte du PDG, les infiltrés qui la coursent... Une sorte d’Erin Brokovitch qu’on tenterait d’empoisonner en ionisant la machine à café. Qu’est-ce que je m’amuse. Bon, y a aussi le représentant de la minorité visible qui s’appelle Samir mais qu’on peut appeler « Sam », la secrétaire de direction qui s’habille chez Pouf-boutique, le couple qui fricote dans l’îlot d’à côté, le commercial postillonnant, la secrétaire qui fait de l’humour de fournitures de bureau, l’informaticien qui parle au disque dur ….Une centaine de prénoms à retenir, on s’tutoie, on vous voit plus, ça s conjugue en sourires complices, ça s’invite à la machine à café, ça fait des soirées raclette, ça parle contraception à table…Et moi, championne de l’intégration cocotte-minute, je me pâme d’admiration devant la cheffe, distribue les clins d’œil entendus aux syndicalistes et pouffe aux blagues de la secrétaire. Eh oui, comme on dit au Maroc, il faut bien « photographier son bout de pain ».

Juste un p'tit coucou

J’ai déserté la toile, percé le cocon. Je ne végète plus dans ma bulle ; ça fait du bien, rompre les fils, couper le pont, construire une vie, une vraie, pas une second life, voir des gens, que je peux toucher, différemment, superficiellement, trivialement. Chercher d’autres centres de gravité, ne plus m’écrire, me la raconter. La griserie d’être lue me manque, pourtant. Je me dis qu’il faut que je me pose, que je tape encore des mots qui cinglent, des mots qui giclent et qui soulagent. Et puis j’élude. Je m’évite, parce qu’au fond, je n’ai plus grand chose à me dire, j’ai épuisé mon sujet.
Et puis j’ai reçu des mails, des mots de sympathie et de reproche, pour me rappeler que mon monologue était partagé, que les liens n’étaient pas factices, et que des fils de tendresse s’étaient tissés. J’ai eu envie de leur répondre, de les appeler, de passer les voir, les rassurer sur ma nouvelle vie, les remercier de s’inquiéter ; mais je ne peux que leur écrire, alors je m’y remets, avec la maladresse des déplâtrés. Juste un p’tit coucou…et puis peut-être que j’vais rester encore un peu.