mercredi, septembre 27, 2006

Le lendemain


Je l’ai désiré, je l’ai eu. Et après ? ce vide du lendemain. Ma fuite alors qu’il dormait encore. Peur d’encombrer. Avant, il fallait bien dîner, rituel de gens civilisés, on ne s’embroche pas comme des bouts de viande, faut prendre le temps de rissoler. Et après ? Après la volupté, le sommeil partagé, complicité des corps toute de tendresse enrobée, même si plastifiée. Qu’est-ce qu’on peut bien se dire, qui ne serait pas de trop? Que j’ai adoré comme sa queue m’a réveillée, dressée contre mon cul. Mon sexe l’a déjà dit. Que j’aimerais bien le revoir, parce qu’une première nuit est toujours un coup d’essai. Que la notre était juste assez belle pour me donner envie de recommencer. Pas osé. Peur de déballer mon emballement, me faire remballer. Il m’a tout de même servi un " à bientôt " ensommeillé. Et je le lui ai rendu d’un sourire qui se voulait léger.

mardi, septembre 19, 2006

Ambiance ramadanesque


Le ramadan approche et ma mère qui m’envoie des briouates, histoire de me motiver. Ah encore, le ramadan, je l’avais presque oublié. Elle a ri jaune et je n’ai pas voulu insister. Pourtant on n’a jamais été tradition dans la famille, genre égorger un mouton dans un concert de youyous et d’Allah Akbar, le dépecer dans une joyeuse liturgie ensanglantée, enfourner sa chair, ses organes, ses tripes en ponctuant doctement la digestion de pets et de rots fleurant la bonne santé et la reconnaissance à Allah Miséricordieux. Mais bon, personne ne peut échapper à cette torpeur ramadanesque qui transforme tout le pays en zombies.
Cette faim généralisée qui fait communier les ventres dans d’infâmes gargouillis et respirer les haleines fétides, parce que le dentifrice est pas autorisé. Etre un estomac toute la journée, avoir des pensées d’estomac, des envies d’estomac, faire des rêves d’estomac. La fébrilité des dernières minutes avant le ftour, les voitures qui klaxonnent comme des ventres en furie, les pas qui se pressent pour ne pas rater la première bouchée, les balcons qui se peuplent à guetter l’appel du muezzin, bientôt confirmé par la sirène, la sirène qui autorise le peuple à bouffer. Et puis plus rien, les rues désertes et le silence qui déglutit. Tout le monde lape sa soupe en même temps.
L’économie s’arrête évidemment, comme un mois d’août en France, pas moyen de trouver un interlocuteur dans une quelconque administration autrement que dans un état de larve mal lunée. Parce qu’y a aussi les fumeurs qui peuvent pas fumer, les alcolos qui peuvent pas boire, les frustrés qui peuvent pas baiser…euh pour les frustrés, ça change rien, peuvent jamais baiser de toute façon. En revanche ils matent encore plus, ils matent de toutes leurs faims cumulées. Et gare au bout de peau provocateur qui dépasse… C’est d’ailleurs la grande occasion du passage au voile pour les impures qui veulent se mettre en odeur de sainteté (le déo coûte cher), cacher leurs cheveux gras et masquer leurs formes libidineuses. Le marketing religieux déploie tous ses charmes racoleurs : campagne de coranisation sur toutes les chaînes, promotions sur les lieux de culte (c’est-à-dire partout), même que les barbus se mettent à distribuer leurs flyers à tous les coins de rue pour les soirées mosquée avec des messages publicitaires un rien exagérés (genre des dizaines d’Alices vierges qui t’attendent au paradis, avec la connexion ADSL en prime). Y a aussi la grande soirée jack-pot, le 26ème soir, où si t’es bien concentré et que tu passes toute la nuit à génuflexer sans t’assoupir et sans péter, le ciel s’ouvre et tous tes vœux sont exaucés. Bien sûr, faut avoir la foi, mais ça tout le monde l’a, et la baraka, moins bien répartie.

mardi, septembre 12, 2006

Mon amour d'ébène


A chaque fois que je vois un bébé noir, je pense à lui. Le seul qui m’ait donné envie de lui pondre un gosse, moins parce que je me sentais prête à materner que parce que lui est un père né. Peut-être aussi pour lui rendre un peu de ce qu’il m’a trop donné. Un bébé et on est quitte, mon bébé, un bébé et on se quitte?
Son corps d’ébène sculpté, sensuel presque malgré lui, sensuel au point de m’inhiber. Avec lui, j’avais la paresse d’aimer. Son corps magnifiquement ciselé, je le trouvais presque trop beau pour le profaner. Peur de le banaliser à trop en jouir. Si peu sûre de le mériter. Pour lui aussi, le sexe devait rester une récompense, tellement pas une routine. Non, baiser tous les jours est un luxe d’occidentaux. Nous devions rationner la volupté. Pas le temps dans notre vie d’étudiants-tiers-mondistes fraîchement débarqués. Entre les cours, les petits boulots, les grands projets, nous n’avions pas d’énergie à gaspiller. Il stimulait ma gnak, celle qui est redevenue sans lui indolence d’enfant gâté. Nostalgie de nos mois de vaches maigres, quand on manquait de tout et qu’il ne me laissait manquer de rien. Son don de sublimer le quotidien, de faire d’un plat Leader Price un vrai festin.
Mon homme trop parfait. De l’Afrique, il avait la couleur, l’accent si peu discret, mais un je ne sais quoi de blanchi. Peut-être dans cette discipline ascétique, si peu naturelle, cette rationalité qui essayait toujours de prendre le dessus. Une forme d’austérité l’a colonisé. Il avait l’insouciance grave comme s’il avait grandi trop vite, ou né déjà adulte. Il se contenait, même ses abandons étaient contenus, comme de peur de voir la bête se réveiller. Je voulais la voir, la bête, je voulais le connaître, mon étranger. Après deux ans de vie commune, je ne savais presque rien de son pays, de son histoire, juste des bananes frites qui me donnaient la nausée. Nous étions intimes pourtant, de cette intimité qui rend les moments les moins glamours touchants. Si peu Belle du Seigneur, si vraie, si crue, jamais personne ne m’a vue dans une laideur aussi nue. Son amour avait quelque chose de maternel, d’inconditionnel, d’aliénant aussi. Sa force m’affaiblissait, m’empêchait de grandir. Je me reposais de tout mon poids sur sa roche, si sûre que sa matière ne pourrait jamais s’effriter. Et pourtant. Force factice. De nous deux, il était de loin le plus vulnérable mais je n’ai pas su le voir, je l’ai vu trop tard. Sa souffrance, je ne l’ai pas senti enfler, et sa dépression, je n’ai rien pu y faire. Juste sauver ma peau parce qu’il me le demandait. Parce qu’il refusait de m’entraîner dans sa chute, de me faire sombrer. Je lui en ai voulu de n’avoir jusqu’au bout rien voulu prendre, rien me laisser donner.
Désemparée, incapable d’affronter la vie sans ses crêpes, ses massages de pied. Toutes ces nuits à pleurer, orpheline de ses bras, comme un enfant terrifié. Je n’ai compris qu’après, bien après, que ce sevrage m’a rendu ma liberté. Celle d’apprendre à m’aimer, sans avoir besoin de l’autre, du regard de l’autre pour confirmer.

samedi, septembre 02, 2006

Mon amour carte postale


Un an après notre tentative avortée, on sait tous les deux l’impossibilité d’un quotidien partagé. Ça tombe bien, je ne veux pas, je ne veux plus d’un homme du quotidien. Juste des hommes de passage, sans s’attarder. Pas d’hommes consistants qui prennent trop de place, toujours des pages à tourner.
En le laissant tout triste dimanche, j’ai tout de même eu un pincement de nostalgie. Attendrissement de quai de gare, après un week-end à s’aimer, coupés du monde. Et pour moi la découverte de la France profonde, où il fait bon pénétrer. Nature luxuriante pour mes yeux citadins, vaste terrain de jeux pour ma nature luxurieuse.
Si beau, mon amour carte postale, si beau mais déjà usé. A 34 ans, un mélange de vieillard émoussé et d’enfant pas encore sevré. Sa mine d’anémié, ses besoins subits et urgents de sieste à n’importe quelle heure, comme une batterie déchargée. Etrange métabolisme qui somatise à la moindre contrariété. Corps transparent, baromètre de toutes ses angoisses. Angoisse de vivre, de jouir, de se dépenser, de s’épuiser. Et puis cette manie de s’ausculter les hormones comme une gonzesse mal réglée. Presque aussi pathétique que d’indexer ses humeurs à l’horoscope.
Pourtant si beau, dans sa pâleur de déterré. Foi de mon ami homo, qui a le goût exigeant de son sexe. D’ailleurs y a qu’à se promener dans le Marais, moi si petite accrochée à son m88 convoité. Même pas fier, plutôt gêné. Presque toujours gêné. Embarrassé par ses longues jambes, sa situation de privilégié. Passe son temps à s’excuser, à se dénigrer : " je dois te sembler si fade… ". Ses sensibleries de torturé s’accordaient mal à mon cynisme enjoué. Merci et pardon ne faisant pas partie de mon vocabulaire amoureux, je ne comprenais pas sa langue faite de contrition et de reconnaissance : " excuse-moi pour hier, excuse-moi pour ce matin, excuse-moi pour demain… ", j’avais beau mettre ça sur le compte de ses racines catho, je ne me sentais pas l’âme d’un confesseur. Et puis " merci d’avoir appelé ", " merci d’être passée ", comme si ça n’allait pas de soi, comme si je remplissais mon cota de BA. Il lui fallait du temps pour prendre de l’assurance et moi j’étais trop pressée.
Pourtant, je lui dois de vrais moments de bonheur. Quand il laissait son angoisse de vivre à Paris et qu’il sortait son insouciance du garage, une virilité flambant neuve que j’enfourchais le temps d’un week-end, et d’un week-end seulement. Avec lui, j’ai découvert la France des guides touristiques. Etretat, Honfleur, Crotoy, Sarlat…nos promenades à La Rochelle, nue sous ma robe et ses mains qui flânent sur mon cul, nos baises dans les champs à ciel ouvert, jouissance décuplée par le risque d'être découverts, là pour le coup, siestes méritées. Et nos réveils complices, nos tendres matinées où il me raconte une autre France, celle que je n’ai pas lue et que je n’ai pas encore pris le temps de découvrir. Je pourrais l’écouter pendant des heures me lire " Le Petit Prince ", ou ses romans de Zweig dont je ne raffole pourtant pas. J’aime ces moments où les rôles sont inversés, moi passive et lui maître incontesté, les seuls où sa voix n’hésite pas, ne s’excuse pas, et que les mots s’articulent.