mardi, août 29, 2006

Dommage collatéral


Le choc thermique est violent mais des restes de volupté me tiédissent la peau. Presque-saturation des sens, le presque c'est cette mélancolie de quai de gare. Un week-end, c’est le temps qu'il faut, à peine assez mais juste pas trop. Dommage collatéral, ma plume est en panne sèche. Trop tendre pour cracher son encre acide. Vais devoir attendre qu'elle se recharge à la grisaille parisienne.

mardi, août 22, 2006

Ghiselaine


Etrangère depuis toujours, ma Ghiselaine, enfant de couple mixte comme on dit là-bas. Son père était rentré au pays avec un diplôme au bras et une Suissesse dans les bagages. Il croyait peut-être que les gènes de la blondeur n’allaient pas résister à la chaleur locale, qu’il suffisait de quelques mois et du manuel de la parfaite musulmane pour que sa femme cesse d’être une roumie. Mais les gènes de la blondeur sont coriaces et sa femme a accouché de petits suisses. Chez eux, les phrases commençaient toujours dans une langue et finissaient dans une autre. Sa mère parlait allemand à son frère qui lui répondait en arabe tout en me disant bonjour en français et en regardant un film américain en VO. Son père lui, ne parlait plus que coran. Il était habité par Allah et menait le djihad contre sa famille de mécréants. Ils ont fini par lui laisser le purgatoire pour aller au paradis des vaches, celui de la pub Milka.
Leurs dernières années au Maroc sont celles que j’ai partagées. Le même quartier, la même école, les mêmes week-ends désœuvrés. A part les corps de nos hommes (chacune le sien), nous manquions cruellement de distraction. Alors on s’emmerdait ensemble, elle me brodait des cartes d’anniversaire au canevas, je lui faisais goûter mes tentatives de tarte au citron, et on regrettait qu’ailleurs ne soit pas ici…on soupirait. Qu’est-ce qu’on a pu soupirer.
Son frère s’est retranché derrière la télé, parce qu’il n’y avait pas encore internet. Il passait son temps à ricaner en boucle à la Beavis & Butt-head et à dire " shit " en toutes circonstances. Ma mère, qui ne regardait pas MTV, ne savait pas trop s’il était demeuré ou juste " les jeunes d’aujourd’hui …". Ghiselaine, elle, était plus sociable, enfin…pour une Suisse. Fallait pas s’attendre non plus à des effusions labiales ou à des jaculations lacrymales. D’ailleurs on peut dire sans exagérer que nos rapports étaient platoniques. J’ai parfois pris sa retenue pour de l’indifférence, moi qui ne connais des émois que les excès. Mais c’était juste de la discrétion. D’autant plus discrète qu’elle ne passait jamais inaperçue. Ses cheveux blonds et ses yeux bleus étaient déjà une provocation, sans parler de ses longues jambes et de ses seins proéminents. Une bombe ambulante. Et c'était pas les vocations kamikazes qui manquaient. Je m’amusais souvent aux mines éberluées quand elle parlait arabe. Je crois qu’elle, ça l’amusait moins, ça l’excédait même. On voyait qu’elle était excédée au léger frémissement de son oreille droite, mais fallait avoir l’œil exercé. Les moins perspicaces ont fini par comprendre quand elle a pris son courage et son sac à dos et a tout plaqué.
Partie se fondre dans l’anonymat helvète, où personne ne se retourne sur son passage, où mater est même plutôt mal vu. Elle est devenue transparente, presque heureuse…sauf qu’il fait trop froid en Suisse. Le soleil du Maroc, elle est revenue le chercher, son soleil à elle, son homme, l’exubérance salée, la gouaille des marins et la tendresse des galets. Pour elle, il a troqué son océan contre un lac, abandonné sa vie de bohème pour un duplex cossu. Ne tangue plus qu’à la houle de ses yeux. Dix ans d’amour sans se lasser, sans se lacer. M’a fait du bien de les revoir inchangés. Fidèles à eux-mêmes et vraisemblablement fidèles l’un à l’autre aussi (oui c’est le quart d’heure sentimentique). M’a fait du bien au moment où mes liens avec le Maroc ne tiennent plus qu’à un fil contrefait.

lundi, août 14, 2006

Le jeu des superlatifs


Tu aimais souvent jouer à ce jeu régressif, ce jeu de mâle-dans-sa-peau, de petit dernier jamais assez aimé. " Dis, de tous tes amants, je suis le plus…. ?)

- Le plus tendre ? te risquais-tu, oubliant que mon attendrissement se nourrissait moins de ta tendresse que de ton besoin angoissé de la mienne.
- Le plus passionné ? plaidais-tu profitant de la proximité de tes pilonnages intensifs. Tu veux dire frénétique ?
- Le plus intelligent ? Là, je te servais mon sourire sibyllin, la réponse est dans la question.
- Le plus cultivé ? je te rappelais narquoisement que confondre les Arabes et les Indonésiens t’avait ôté quelques points.
- Le plus beau ? tu n’osais même pas.
- Le meilleur coup ? j’éludais : " je m’interdis de comparer ". Question d’éthique.
- Le plus gentil au moins ? suppliais-tu en désespoir de cause. Je ne pouvais m’empêcher de rire à cet épithète enfantin, à cet attribut canin " gentil chien chien ? ".

De guerre lasse, tu me tournais le dos boudeur pour y accueillir mes seins repentants. Tu calais tes fesses contre mon con et attendais ta ration de douceurs : mon tendre boucher, mon insatiable concupiscent, mon plus bel exil, mon saigneur, mon tyran…et puis tu réclamais la version arabe parce qu’à tes oreilles ces mots neufs te semblaient n’avoir jamais servi : habibi, hayati, 'oumri, nassibi, zamaani wa makaani …avant d’enfin trouver l’apaisement. J’aimais tes doutes, ton délire de possession. Cette avidité de cœur en reconstruction. Je croyais que le rebâtir me donnerait le droit d’y habiter…au moins quelque temps. Délogée avant même les finitions. A ce jeu des superlatifs, un seul t’allait comme un gant, le plus égoïste mon amour, le plus vampirisant.

mardi, août 08, 2006

Mon premier décal-âge


J’avais 20 ans, lui 17 de plus. Je le trouvais beau, de manière un peu abstraite, refusant de m’attarder sur sa moustache ridicule, son front dégarni, ses yeux globuleux. Et puis tellement cultivé, qui me déclamait des vers en arabe et du Baudelaire dans le texte. M’a fait découvrir Desproges, Bobin et Nass El Ghiwane. Ingénieur masterisé, carriériste déterminé. Du haut de mes 20 ans, je le voyais déjà piloter un des fleurons du pays. En attendant j’étais très fière qu’il veuille bien prendre les rênes de mon cul.
Ça me changeait des étudiants obsédés par la taille de leur bite et leur traitement contre l’acné. Lui avait passé l’âge des boutons mais pas celui des concours de bites. Il n’arrêtait pas de répéter : " Les hommes qui ont de grosses voitures ont de petites queues ". Lui avait une petite voiture et une petite queue, mais je ne voulais pas le froisser. J’étais amoureuuuuuse. Cet état de béatitude où on n’est plus que miasmes de mièvrerie et qu’on ôte sa lucidité avec sa petite culotte. Je me voyais déjà emménager dans son appartement trop grand, devenir sa maîtresse officielle avant d’être promue épouse légitime. Parce qu’au Maroc, le concubinage n’était tout de même pas très légal, n’est toujours pas d’ailleurs. C’était l’homme-de-ma-vie-que-je-pouvais-pas-vivre-sans. A cet âge-là, je baisais encore avec mon cœur, c’est-à-dire très mal, forcément.
Bon, lui était légèrement moins emballé, un week-end sur trois c’était déjà assez. Monsieur avait une hygiène de vie : sexe deux fois par mois, tennis une fois par semaine, petits plats faits maison par maman et méticuleusement congelés en barquettes individuelles, ça conserve. J’étais pas spécialement ravie de mon 53e rang dans ses priorités. Un jour eu l’outrecuidance de lui en toucher un mot, puis deux. Revers cinglant : " A prendre ou à laisser ". OK, je prends, je me laisse prendre surtout, je le laisse prendre son pied, pas le cran de lui dire que sa queue petite, que sa queue arrogante, que sa queue égoïste ne faisait jaillir qu’amertume en guise de cyprine.
Heureusement, un jour que je remettais ma petite culotte (un string rouge passion en l’occurrence), j’ai aussi remis ma lucidité. Je me suis lancée alors le genre de défi qu’on se lance quand on a 20 ans et rien pour s’amuser, pas de gode ni de connexion ADSL : " je vais le faire abdiquer ". D’amouuuuuuuur il n’était plus question, mais d’amour propre si. Ce demi-beauf de presque quarante ans qui condescendait à se laisser aimer par une gamine de 20, cet imbu de sa virilité qui croyait me combler de ses assauts de boucher, cet autiste du cœur qui n’a su que prendre et si peu donner, je voulais le dresser. A mon tour de jouer. Il abdiqua mais ça ne m’intéressait déjà plus : j’étais déjà devenue la patrie d’un noir exilé (mais c’est une autre histoire, une belle histoire). Trop honnête pour le faire cocu, j’ai très élégamment rompu au téléphone. D’accord, c’était pas très courageux mais le jour où j’ai voulu rompre de face, il m’a servi le profil " femme-de-ma-vie-je-ferai-des-efforts-pour-te-mériter-et-promis-j’arrête-le-tennis ", ma face s’est rétractée et je lui ai servi mon cul… une dernière fois. Je n’étais pas insensible pourtant, j’ai même pleuré de l’ironie de la situation en fredonnant dans ma tête Ironic de Morissette. Bon, j’ai pleuré pendant qu’on baisait alors il a mal interprété. Il avait une haute opinion de sa queue.

vendredi, août 04, 2006

Et puis y a Frida....


Frida sur le CV et Farida sur le répondeur. Mais où est passé le A ? Le A est gommé, comme on gomme une tâche, le A est muet, tellement parlant pourtant, le A est censuré parce que non AOC. " Une lettre de plus ou de moins, ça change rien ", qu’elle s’est défendue. Pathétique travestie identitaire. Blanchiment inutile parce qu’ici on accepte les rebeu, la preuve : j’y suis. En plus, on a même payé pour m’avoir, au moins deux chameaux à l’Office de la Main d’Œuvre Etrangère, et une lettre de motivation dithyrambique sur mon profil à nul autre pareil et la valeur ajoutée de mes doigts de pied. Même pas dû sucer pour être prise, je veux dire embauchée. Bon, il y a quand même eu un doute sur mon orthodoxie syntaxique. Mais j’ai su conjuguer mon zèle au plus-que-parfait… enfin les premiers mois parce qu’ensuite l’imparfait a vite pris le dessus. Il faut bien s’accorder à l’air du temps.