jeudi, juin 29, 2006

Triste vie de con

Accès d’amertume. Tout ce que je t’ai donné, tout ce que tu as englouti, avec le naturel de mufle que tu es. Tu t’es accroché à moi comme une sangsue à l’agonie. Je t’ai gorgé, gavé, comblé puis soûlé, et j’ai fini par t’écœurer. Tu m’as vomie. Sans autre forme de procès.
On m’a pourtant assez rabâché à l’école que la gratuité tue le désir. Il faut croire que je ne capitalise pas. A l’heure où on valorise les déchets, même pas su coter mon cul à la bourse des queues délaissées.
En parlant de déchet, j’ai écouté le début de la dernière de Macha sur France inter. Un profond dégoût pour cette vieille peau qui s’accroche, qui renifle au micro, qui bave des yeux et du nez. J’imaginais le mascara coulant, les sillons creusés par les larmes dans l’épaisse couche de fond de teint, effet plaques d’une traînée plaquée. Eteint la radio.
J’aurais au moins évité ça. J’ai anticipé la fin, je l’ai provoquée même. "Ne te prive pas de moi", que tu as osé. Et tu pensais à ta queue orpheline, c’est elle que tu ne voulais pas priver.
Oui, personne ne t’a baisé comme moi. Ça, je n’ai pas de mal à le croire. La prochaine fois, tâche de faire moins volcanique. La prochaine fois, puise dans le vivier des trentenaires cultivées et divorcées, de vraie puritaines, de fausses libérées, qui ne peuvent jouir que dans le noir bien concentrées sur leur point G. Une femme de ton milieu, de ton genre. Une femme à la poitrine pleine, et l’écriture plate. Qui fera bien la cuisine et moins bien l’amour. Qui te laissera des post-it sur le frigo au lieu d’écrire des lettres à ta queue.

Vas chercher dans tes coincées du clitoris un femme pour t'écrire : " J’ai adoré comme tu m’as bouffé le cul . Je n’arrête pas d’y repenser. Toi si affamé de mon cul. Mon cul avide de ta bouche, de ta langue, de ta barbe, de tes dents, de ta rage, de ton nez qui le caresse, de ton menton qui le saccage. L’espace d’un instant, d’une éternité, j’ai habité mon cul, j’ai vibré à son rythme, résonné de ses battements de cul, chaviré à ses vertiges, perdu pied, repris mon pied. J’ai aimé mon cul de déchaîner ta passion dévorante, ta passion de le dévorer. Et puis j’ai oublié mon cul et je t’ai aimé toi, sans qui mon cul vivrait une triste vie de con. "

mercredi, juin 28, 2006

Chronique spéciale K

Ce matin je déboule - bien sûr avec le quart d’heure de retard réglementaire- au Hyatt et je m’engouffre dans un salon, après les salamalecs d’usage : " bienvenue, bienvenue, la conf vient tout juste de commencer, café ? jus de fruits ?). Je m’installe, confuse de déranger, et je m’aperçois avec effroi que ce n’est point la bonne salle, ni la bonne entreprise à moins que mon cabinet de réduction de coûts n’ait mué en éditeur de logiciels, on ne sait jamais.
Après quelques secondes de consternation et le déchiffrage du logo en gros et en gras sur les affiches, sur le dossier de presse, sur l’écran Power Point, je me rends à l’évidence : ce n’est définitivement pas la bonne salle. J’ai failli m’y résigner et rester quand même. Après tout, j’ai été bien reçue, le jus n’est pas mauvais et ça ne se fait pas de sortir en plein milieu de l’exposé du monsieur, c’est même Hechouma wili wili. Si le sujet avait été plus bandant (l’impact de la libido sur la productivité ou comment créer une émulation dans les équipes en introduisant le concept de Fucking-colleagues), je serais certainement restée. Mais ces tristes sires ne semblaient enthousiasmés que par les performances de leur logiciel à la con, je m’éclipsai donc discrètement (enfin mimant la discrétion) et m’en fus chez les voisins. J’y trouvai un snoopy monologuant d’une voix éteinte et monotone devant un parterre de journalistes très intéressés…par les viennoiseries. Je me resservis, me désennuyai en fixant les boutons de manchette clinquantes et de mauvais goût du PDG, sentant désagréablement le regard déshabillant de mon vis-à-vis qui lui, se désennuyait sur mon décolleté. Le monologue était interminable, à peine ponctué par quelques lampées de miel à même le pot.


Deuxième conférence : changement d’ambiance.
Là, je suis à l’heure, c’est à dire en avance. Je me retrouve alors dans une sorte de verrière au dernier étage d’un immeuble quai Grenelle, vue sur Tour Eiffel, avec une vingtaine de quadra-blancs-costume-cravatés. Evidemment, je ne connaissais personne. Evidemment, personne ne m’a reconnue. Et ce n’est pas faute d’avoir essayé. Dans ce genre de situation, je m’applique très fort à feindre une attitude décontractée, afficher un sourire narquois, trouver des répliques ironiques pour les malheureux qui osent m’aborder. Je dois dire que ma technique est bien au point maintenant, loin des malaises du début. En même temps, ça ne me déplaît pas d’être regardée, à la dérobée, avec la retenue qui sied aux costumes-cravatés. J’aime bien jouer aux minorités triplement visibles : femme, jeune et colorée (si je rajoute mignonne, ça fait un peu too much non ?). Et cette façon de glisser dès la deuxième ou troisième banalité que je suis Marocaine, non pas d’origine lointaine, mais de là-bas, je viens juste d’arriver, direct de Roissy. Pour entendre l’inévitable : " C’est impressionnant que vous parliez aussi bien français " et ressortir ma blague éculée : " j’ai pris des cours du soir accélérés ". Vous voyez, en plus, j’ai de l’humour. T’es ridicule ma pauvre fille.

dimanche, juin 25, 2006

Mauvaise fille

Deux jours à jouer les petites filles modèles, envie de me re-sentir femme, désirable et désirée. Ma mère a débarqué à Paris samedi, avec son voile qu’elle voudrait discret mais qui ne peut être qu’ostensiblement ostentatoire et ma petite sœur qui ne sait que faire de son corps encombrant d’ado à peine pubère. Et moi, mauvaise fille, je leurs sers des pâtes Picard arrosées au vin blanc. M’en suis rendu compte trop tard, tant pis. Déjà que j’ai dû planquer les bouteilles, les capotes et le Play. Que j’ai dû planquer ma peine de plaquée brûlée vive.
Maman , ma petite maman, envie de pleurer dans tes bras comme au temps de mes chagrins d’enfant. Maman, ma petite maman , toi qui ne m’as jamais rien refusé, rends-moi mon roumi, rends-le moi même cassé, même démonté, je saurais bien le remonter.
Mamati, aaah ya yemma, pardonne-moi d’être absente, de n’être qu’une ombre distraite, d’entendre sa voix en t’écoutant, de te parler une langue émiettée, de le chercher dans la foule, de n’avoir que des restes à te donner.

vendredi, juin 23, 2006

Mon premier mois

Un mois sans toi. Cette manie de marquer les mois, comme d’autres les années. Comment on dit anniversaire pour un mois ? Remonté au fil des mois de notre histoire qui en a compté presque 7 dont deux de trop. Me suis amusée (enfin, comme on s’amuse à se mutiler) à prélever mes premiers mails de chaque mois-anniversaire :

Le premier mois :
A l'aube de la cinquième semaine de notre rencontre, je crois qu'il s'impose de dresser un inventaire des dégâts, un bilan des préjudices corporels et moraux, dans une première tentative de chiffrer les dommages et intérêts que je ne vais pas manquer de te réclamer, preuves à l'appui, dans un procès que je pressens plein de rebondissements:
Tu m'as enculée avec ton nez, prise avec ta bite, branlée avec ton doigt, tes doigts.. Tu m'as pénétrée de toutes parts, rempli de ta substance et vidée de la mienne.. Tu as habité mon corps, envahi ma baignoire, salopé mes draps, perverti mon canapé, asservi mon rythme, dompté ma vie... tu as libéré mes mots, embelli mes mots…enhardi mes gestes, déchaîné mes envies, exalté mes mains, inspiré ma langue, aspiré ma langue, embué mon esprit... tu m'as possédée de la tête aux pieds, tu m'as dépossédée de ma tête, de mes pieds et du mètre et demi qui les sépare ! ! !

2 mois (quand je t'ai fait la surprise dans les annonces " entre nous " de Libé)
Toi roumi ethnocentré, moi arabe fraîchement immigrée. Rencontre improbable. Amour incandescent. Mes mots qui s’emballent … nos corps qui s’affolent. Deux mois que tu m’embrases…

3 mois ( de mes vacances au Maroc)
Hier soir, j’ai rembobiné les trois derniers mois : depuis la rencontre improbable d’un m&m’s esseulé et d’une luxuriante un peu blasée jusqu’à la soirée pizza Speed Rabbit et séance de sexe hard-corps digne de la chaîne X méditerranéenne bientôt sise à Tanger.
Trois mois et des poussières. Trois mois qui valent leur pesant de foutre. Mais aussi de tendresse, de fous rires, quelques larmes, pas beaucoup, des brins de doutes, inévitables, un petit chouya de talibaneries, pimentées, des moments d’agacements, fugaces, pas encore de lassitude, du moins de mon côté. Trois mois que tu as fait irruption dans ma vie toi, ton scoot, ton Vetiver, tes plans d’architecte et tes angoisses de nouveau père, si touchant. Trois mois que j’ai adopté ton rythme de vie, ta marque de café, que je subis tes assauts de boucher, que je suis en admiration devant tes talents de bricolo et tes dons de mécano, que je m’émeus de tes progrès en pidgin arabe qui démentent toutes les accusations d’ethno-centrisme certainement dues aux limites de jugement d’une bac+4.
A 1500 miles de distance (source : Royal Air Maroc), je me rends compte à quel point je suis devenue roumi-dépendante.

4 mois
75 pages, 32 000 mots, 184 000 signes, un petit roman décousu et inachevé, notre histoire en devenir.
Quatre mois et des poussières qui tiennent sur ces pages, qui se sont tissés au fil des mots. Des mots puisés de notre quotidien, qui l’ont inspiré, parfois même sublimé.
Des mots gratuits, des mots lourds de sens, des mots qui heurtent- les miens souvent -, d’autres qui demandent pardon, des mots que je ne peux que t’écrire, des phrases que je rêve t’entendre dire, des mots dont on ne parle plus.
Des mots pour te plaire, des phrases pour faire joli, quelques passages à vide, des coups de plume comme des coups de griffes, des embardées, des sorties de route, des suspensions inaperçues, des mots pour t’aimer, d’autres pour te le dire, des mots détournés, emballés, si peu remballés, des mots qui sonnent faux mais tombent juste, des phrases maladroites, béquillantes, des mots pour me faire aimer de toi.
Des mots crus, impudiques, qui sentent le sexe, qui chantent le sexe, des fantasmes pour te faire bander, des souvenirs mouillés, mon cul ton sujet, des verbes pour ta bite, des phrases lubriques, des mots qui baisent avec d’autres mots, des orgies de mots.
Des mots ciselés, des mots en vrac, des phrases qui dépassent, quelques envolées lyriques, un brin de ridicule, des mots pressés, approximatifs, des mots juste pour rire, fous rires partagés, des mots hésitants, murmures et chuchotis, des mots criants, presque vindicatifs.
Des mots recherchés, des mots que je passe des heures à trouver, d’autres qui s’imposent sans être invités, des mots douloureux, des mots légers, inconséquents, des mots adolescents, comme des cœurs sur l’écorce, des mots pour ne rien dire, des verbes inventés, des noms hybrides, des mots polyglottes pour t’impressionner.
Des mots qui comptent, qui nous racontent, des mots pour y croire, des provisions pour les moments de doute, des mots qui restent, qu’on ne peut balayer, des mots contre l’oubli, indélébiles et tenaces.

5 mois (le début de la fin)
Compliquée mais compliquée. Je m’offrirais bien une séance de méditation (une vraie cette fois) pour me débarrasser de ce mal-être qui me mine depuis quelques jours, faire la part de ce qui est réel et de ce qui n’est que le fruit de mes fantasmes cyclothymiques, mes bad trips, comme tu les appelles maintenant toi aussi, te voir toi autrement qu’en transposant toutes mes attentes plus ou moins exprimées, plus ou moins comprises (plutôt moins que plus), encore moins assouvies.
Ce n’est pas un reproche cette fois-ci, juste un aveu d’impuissance. Nos modes de fonctionnement sont tellement différents : je crois bien déceler un début d’agacement face à mes crises récurrentes. Pourtant, tu ne me critiques jamais ouvertement et spontanément. C’est vrai que ton tempérament pacifique et consensuel est plutôt une qualité dans un pays où il ne faut surtout pas faire de vagues, c’est ce que tu appelles " être facile à vivre ". Evidemment je ne te demande pas de reproduire mes défauts, ce côté râleur et toujours insatisfait qui assène des jugements tranchants et souvent excessifs. Ce que je te demande juste c’est d’être plus direct, plus franc. Que je n’aie pas à me triturer l’esprit à l’affût de ce qui te déplaît. Par défaut, tout silence devient réprobateur, tout non-compliment devient critique, toute absence de tendresse devient agacement. Je ne peux évidemment pas te tenir responsable de mes délires de paranoïa, ce serait pour le coup injuste. Je veux juste que tu comprennes que quand je te demande de me rassurer, ce n’est pas une coquetterie.
D’autant plus que ton déménagement me rend les choses plus difficiles, et pas que du seul point de vue logistique. C’était naturel pour moi de te recevoir tous les soirs, ça l’est beaucoup moins de prendre mon sac et de débarquer chez toi, sans que je me sente vraiment désirée. C’est ridicule après tout ce qu’on a vécu, mais j’ai eu tout de même l’impression de m’imposer hier soir, avec ma valise de la semaine. Je suis gênée de squatter tes cintres, d’exposer mes produits de toilette dans ta belle salle de bain…J’imagine que ça va passer, il faut juste que je me donne le temps de prendre mes marques : entre l’amante itinérante et la compagne disponible (indispensable ?). Une période d’adaptation est nécessaire, j’espère juste qu’elle ne sera pas trop longue.
Ton déménagement, en marquant la fin de ta vie d’escargot devait aussi marquer celle de ton statut de blessé de guerre prioritaire. D’où mes attentes, non pas d’un renversement de situation (quoique), mais au moins d’un rééquilibrage qui verrait mes propres problèmes (le dépôt de bilan de ma boîte, excusez du peu) prendre le pas sur les pannes de lave-linge…
J’en arrive à me demander si on a réussi nos premiers mois malgré ta situation difficile ou parce que ta situation difficile justifiait pour moi tous les efforts, dans un seul sens, croyant à la version de " l’égoïste malgré lui et à l’insu de son plein gré "…
Remarque ça n’aura pas été la première fois que je surmonte le plus difficile pour rater magistralement le plus facile (c’est mon tout-ou-rientisme)
Je suis avide, et pas qu’une baiseuse avide. Je t’en demande peut-être trop. Il y a un très beau vers en arabe pour dire " on ne peut donner ce qui nous fait défaut ", et je ne t’en voudrais pas si tu n’as pas assez d’amour à donner. Mais je ne pourrais pas m’en contenter.

6 mois (la première fin : ton délit de fuite)
Prends tout le temps qu’il te faut et ne te sens surtout pas obligé de quoi que ce soit envers moi : tu ne me dois rien, je te dois tellement. Rappelle-moi quand l’envie (je n’ose pas dire l’amour) renaîtra, si elle renaît un jour. Autrement, je garde le meilleur, et c’est déjà beaucoup. Je t’aime.

6 mois et deux semaines (la fausse reprise)
Mon roumi m’est revenu. Pas pour toujours, pas pour une nuit. Pour un mois peut-être, une transition après la transition, peu importe. Autant de bonheur à prendre. Tu ne vas pas faire la fine bouche. Il sera toujours temps de pleurer…après.
Mon roumi m’est revenu. Sans poser de questions, sans répondre aux miennes. Les joues en flamme, le corps fébrile, un incendie dans les yeux… et ma volonté en cendres. Pas de regrets, pas de promesses, juste un désir impérieux, amnésique, qui n’a pas à se justifier.
Mon roumi est revenu, comme la Mathilde de Brel. " Et vous mes mains ne tremblez plus, souvenez-vous quand j vous pleurais dessus"… Mais c’est trop tard, comme dans la chanson. Les draps sont déjà défaits, tous contents de retrouver le foutre de mon roumi.

6 mois et trois semaines : la vraie fin
Nous avons le regret de vous informer que Mademoiselle Houda a définitivement fermé ses portes. L’établissement a fait faillite en raison d’une malgestion qui a gravement compromis sa rentabilité et mené à la cessation d’activité. Directement mise en cause, la politique commerciale du boxon consistant à octroyer un crédit illimité et sans aucune garantie à son client unique qui en a usé et abusé sans scrupule, certains diraient sans vergogne, causant la ruine de la boîte.
La gérante assume pleinement les effets de cette politique désastreuse, dont la naïveté confine à la niaiserie, et en tire les leçons idoines. Elle présente ses sincères mais vaines excuses à ses bailleurs de fond (son cœur et son cul), de les avoir entraînés dans cette aventure ingrate, ainsi que de les avoir involontairement bernés en leur faisant miroiter un retour sur investissement à la mesure du risque encouru.

mercredi, juin 21, 2006

Oracle a raison

Aujourd’hui, je suis allée à une conférence d’Oracle sur leur stratégie de CRM (Customer Relationship Management, je sais que tu n’as jamais compris ces barbarismes) après l’absorption de Siebel. Le genre de show où un Top manager aseptisé vient évangéliser un public mi-conquis, mi-endormi, en martelant des concepts marketing éculés dans un franglais irréprochable (enfin Bernard Pivot n’était pas là pour le lui reprocher). J’écoutais d’une oreille, l’autre étant occupée à capter les conversations à mi-voix de mes voisins, et mon esprit toujours plongé dans les réminiscences de ma vie avec toi. Jusqu’à ce qu’il aille trop loin, au point de sentir la vague de chaleur annonciatrice de larmes m’envahir, et que je le rappelle illico, le forçant à se concentrer sur le discours de M.Oracle et son CRM. Qui insistait sur l’importance de la fidélisation des clients (je traduis, lui parlait de la loyauté des clients, ce qui n’était pas sans charme), brandissant moult études de Gartner et compagnie prouvant par A+B que les entreprises leaders dans leur secteur étaient celles capables de garder leurs clients captifs, à coup de customization, d’anticipation des besoins (quitte à les créer), d’adaptation au profil, d’écoute proactive et d’autres conneries de ce genre, les Customer Centric, il les appelle. Et pour ça bien sûr il faut le connaître sous toutes les coutures, ce client si précieux. Ne rien ignorer de ses habitudes de consommation, son mode de vie (c’est une répétition puisque mode de vie = habitudes de consommation), ses travers et ses endroits pour toujours le caresser dans le sens du poil, l’espionner pour lui faire un joli cadeau d’anniversaire, le fliquer pour son bien.
Un petit clic et tu as la bio détaillée (pas toujours autorisée) de M. Tout le Monde qui devient " cher client Trucmuche " alors qu’il a peut-être envie de rester personne. Trop tard, vous êtes modélisé, et puis faîtes un effort pour rentrer dans les case préparamétrées. Le logiciel ne peut pas se tromper. Vous ne pouvez à la fois être le fils d’un officier de marine, habiter dans le quinzième et aimer une rebeu. Ce n’est pas un profil cohérent. L’Oracle a toujours raison.

samedi, juin 17, 2006

Trêve de civisme

Hier dans le métro. La ligne 2 bondée. Ouf, pu m’asseoir à Menilmontant. Encore 8 stations. Toujours ce bien-être décuplé d’être assis quand tout le monde est debout. La rareté crée le désir. Ma place, tout le monde la veut. Mais je ne la céderai pas. Même pas pour un vieux ou une femme enceinte, à la rigueur un vieille femme enceinte avec des béquilles. Non, j’exagère, je ne suis pas à Paris depuis assez longtemps. D’ailleurs, quand je venais de débarquer de mon bled, j’avais tendance à céder ma place systématiquement à toute personne âgée de plus de 45 ans (élan pas toujours bien accueilli par les dits quadra offusqués), aider à porter des valises de 50 kilos (mine toujours étonnée devant mes 50 kilos et mes talons aiguilles), et bien sûr redescendre pour faire monter une poussette (toujours un grand moment d’émotion), proposer de porter les sacs de courses (là mes 50 kilos et mes talons aiguilles inspirent plutôt confiance, rapport à mon type maghrébin), guider des aveugles (pardon des non voyants). En parlant d’aveugles justement. Il y a deux ans (j’habitais encore dans le dix-neuvième), je venais d’entrer dans mon ED en passant par le rayon fruits et légumes quand je vois une vieille femme aveugle haranguant la foule (je sais c’est pas la bonne expression mais elle m’est venue comme ça alors je la mets): " est-ce que quelqu’un peut m’aider à choisir des pommes SVP ? ". Aujourd’hui, j’aurais peut-être fait la sourde oreille. Impensable il y a deux ans. Je lui choisis ses pommes, ses tomates, fais toutes ses courses, les lui porte jusque chez elle, lui donne mon n° de téléphone, si elle a besoin de quoi que ce soit. Justement, elle a besoin. Que je lui écrive une lettre pour l’administration qui a suspendu sa pension d’handicapée pour des raisons obscures. Elle vit seule et elle n’a que cette maigre pension pour seul subside. Emue jusqu’aux larmes j’étais. Comment se fait-ce dans ce beau pays si généreux envers ses pauvres, ses chômeurs, ses étudiants. Moi qui culpabilisais presque d’avoir droit à des APL en tant qu’étudiante, même étrangère, et toutes ces réductions pour la même raison qui semble si évidente ici et qui l’est si peu chez moi.
J’ai donc passé des heures et des heures à faire le scribe. Pas de quoi avoir une médaille, j’étais tout de même pas mal désœuvrée à cette époque. Elle me proposait toujours du jus de pommes ED et des biscuits ED et me bénissait de toute sa foi de bonne chrétienne. Je n'y étais pas insensible, moi qui ai si peu eu l'occasion d'être utile. Au fil d’une conversation et au détour d’une formule alambiquée dans le pur style administratif, je ne sais comment elle s’est retrouvée à me parler de Jean-Marie Le Pen. " Il est injustement diabolisé, vous savez. Au fond, il ne dit que des choses raisonnables ". Au fond, quel fond ? " C’est vrai que les juifs nous ont dépouillés, ils sont partout où il y a l’argent et le pouvoir ". Je m’étrangle avec mon biscuit ED. Au fond, toujours ce fond, elle est bien maligne la petite dame. Me sachant marocaine ("oui mais vous c'est pas pareil"), elle n’a pas voulu me servir la sauce anti-immigrés. Mais l’antisémitisme primaire, ce serait un bon terrain d’entente entre musulmans et chrétiens radicaux, non ? Je l’ai laissée se dépêtrer dans sa paperasse, franchement sans remords. Pas envie de faire d’efforts. Il m’est arrivé de la recroiser dans le quartier, toujours seule, toujours pitoyable. Toujours pris soin de l’éviter. C’est le côté pratique des aveugles, on peut facilement les éviter.

vendredi, juin 16, 2006

Chronique du hammam

Malgré la tradition du hammam hebdomadaire qui sévit encore dans toutes les classes du Maroc urbain (je n'ai que très peu de données sur le Maroc rural), je n'y suis allée pour ma part(au hammam) que trois ou quatre fois, dont la dernière doit remonter à cinq ou six ans : je ne compte pas le hammam de rue Montorgueil, tu comprendras pourquoi.
En entrant dans ce temple de la féminité qui fait fantasmer tout l’Occident, je me suis souvenue des raisons de cette si longue abstention. Cette profusion mammaire, cette débauche de chair, ce débordement de bourrelets, cette exhibition de cellulites de tout âge, cette agression de nudité dans toutes les postures : affalée, écartée, recroquevillée, penchée, nonchalante ou gesticulante.
Les plus puritaines arborant des culotte usées, qui ont renoncé depuis longtemps à contenir les protubérances qui leur servent de cul et qui s’arrêtent (les culottes), pantelantes, à mi-fesses, partageant la poire en deux, sourire obscène. Les autres (les femmes cette fois) se promenant cul à l‘air, naturellement, sans perdre contenance, et l’air digne des honnêtes ménagères qu’elles sont.
Et vas-y que je te frotte et vas-y que je te récure et que je t’asperge, chair contre chair, dans une intimité faite de vapeur, de savon noir, de sueur partagée et de gommage collectif.
Oui là je me suis souvenue du malaise que j’ai ressenti à chaque fois que j’ai dû me mêler à ces corps dépouillés, à ces corps malpropres qui se décrassent en public, qui étalent leurs disgrâces sans complexes, à ces corps si peu soucieux de séduire, à ces corps réduits à leur état de corps.
Enfin, tout ça pour te dire qu’un hammam à 1 euro est beaucoup moins glamour qu’un hammam à 60 euros, et que, quitte à y aller une fois tous les 10 ans, autant payer le prix du rêve et se prendre pour la Sheherazade des mille et une nuits plutôt que la ménagère décatie d’un quartier poupilaire.

mercredi, juin 14, 2006

Crise de manque

Crise de manque aiguë hier. J’ai relu et relu nos mails, les 100 et quelques pages qui ont ponctué notre histoire. Tu me manques tellement. Mes mots son orphelins sans toi.
L'embrasement était trop intense pour être converti en banale histoire de couple. Je n’arrivais pas à aimer l’égoïste assisté qui panique à l’idée de monter un meuble Ikea, le petit-bourgeois pétri de certitudes, emprisonné dans sa raideur de normalien, pris dans le carcan de ses habitudes, si peu libre dans les frontières de son quinzième. Mais comme j’ai aimé mon roumi balbutiant des mots d’arabe qu’il me servait à toutes les sauces, avec le sourire désarmant d’un enfant de quatre ans. Comme je regrette nos bains quotidiens qui finissaient immanquablement par des séances de baise débridée. Et nos séances de baise débridée qui finissaient toujours par un éclat de rire. Oui, on a beaucoup ri. Il n’est que juste maintenant de pleurer.

Mon premier commentaire

Mon premier commentaire, certainement mon premier visiteur aussi. Sur un quiproquo. Non, tu n’es pas mon roumi. A vrai dire, je ne savais même pas que ce prénom existait. A part le poète perse Jalal Eddine Erroumi, je n’avais d’ailleurs jamais rencontré ce patronyme. Non, mon roumi à moi est un Français tout ce qu’il y a de plus beldi. Prénom composé suintant la France profonde, blond à en être fade, n’étaient ses yeux d’un bleu si bleu que j’en perdais pied et le reste.
Roumi, en dialecte maghrébin, désigne tout ce qui est occidental et moderne par opposition à beldi : traditionnel, authentique, ou bledard tout simplement. C’est une amie Algérienne qui appelait son ami Français comme ça. J’avais trouvé cela très drôle. Ça m’a rappelé qu’au Maroc, on appelle poulet roumi, les poulets industrialisés et donc cheap, par opposition aux poulets beldis, élevés en liberté, comme les poulets de Loué. Mais à cette époque, une vie antérieure, j’étais avec un noir africain, qui se prêtait donc très peu à cette appellation d’origine pas vraiment contrôlée. Je n’en ai fait usage que bien plus tard, en rencontrant mon Français de souche dans une boucherie, à la soirée de luxure donnée par mon amie Algérienne pour son anniversaire (si si c’est vrai). Je l’ai donc baptisé mon roumi et il en était tout fier. Lui pour qui le vingtième arrondissement est le comble de l’exotisme, qui n’a côtoyé de toute sa vie de trentenaire que deux ou trois maghré-biens, fils de ministres de surcroît, devenait l’amant d’une Marocaine, une vraie de vraie, qui vient du bled mais n’en a pas l’accent. Et c’est tant mieux, un chouya d’exotisme mais pas trop. Et même le chouya est devenu trop.
Enfin bon, je trouve plutôt troublant que mon blog destiné à un faux roumi soit étrenné par un vrai Roumi. Alors merci à toi pour ton gentil commentaire et marhaba (bienvenue en arabe).

mardi, juin 06, 2006

La fête des voisins

Audrey a dit que le marché des marques distributeurs était fleurissant. J’ai eu envie d’en rire avec toi. Avec qui partager mes sarcasmes ? Et la fête des voisins ? J’ai mieux compris les bronzés. Ils ont parlé plomberie, chats et chiens, crotte de pigeons (je sais, on dit fiente pour les pigeons) et pannes d’ascenseur. Moi, j’étais en panne d’inspiration, en rade de mots, en misère de sourires. Rupture de stock. Rien à raconter, pas de maison de campagne en Vendée, pas de souvenirs de quartier, pas de terrine de thon à faire goûter, même pas de tarte maison amoureusement préparée. Le chien de la voisine est vieux, un immonde teckel incontinent qui a saloppé leur moquette. D’ailleurs c’est la seule que j’ai reconnue (la voisine pas la moquette) à force de la croiser tout le temps avec son canin croulant. J’étais persuadée qu’elle était vieille fille et un peu débile. Et bien non, la grande bringue jaunâtre dans son jogging d’ado compassée est sa fille. Née et élevée dans l’immeuble. "Comme c’est attendrissant", me forçais-je du ton faux de la voisine du dessous. D’ailleurs, c’est un peu le building familial. Son grand-père et son oncle habitent mon étage. Je croise souvent son oncle en caleçon (lui, pas moi) près du vide-ordures et j’ai déjà essayé d’enjamber le balcon de son grand-père pour rentrer dans mon studio un matin où j'avais malencontreusement enfermé mes clés. Tentative avortée, comme tu le sais. Nous en avions bien ri.
La dame du cinquième savoure la terrine de thon de toute sa moustache. Tiens, une trentenaire, elle travaille dans un commissariat et sa cousine fait un stage de garde-chiourne, pardon gardienne de prison. Il n’y a pas de sot métier. Il y a même des gens très bien, un quinqua qui bosse chez IBM et un autre dans un hôpital, mais dans l’informatique aussi. Les informaticiens sont sur-représentés rue du Surmelin. Même la grande bringue est en master d’informatique. Master, c’est l’équivalent de maîtrise, qu’elle explique pour ceux qui n’auraient pas suivi la réforme LMD. Moi, je ne comprends pas très bien comment on peut étudier l’informatique à la fac, c’est un peu comme les STAPS, ça me dépasse. On lui demande si elle fait du Java. C’est de l’humour d’informaticien. Mon humour à moi passe moi bien. C’est un peu de l’humour de croque-mort. Quand je réponds au vieux monsieur qui me tend sa quiche aux légumes et m’invite gentiment à rejoindre son groupe : " c’est pas vraiment ma classe d’âge ", il fait semblant de n’avoir rien entendu. La grande bringue se fige mais personne ne s’en rend compte. Elle est d’un naturel figé. Je ferais mieux de m’éclipser. Ce qu’il y a de bien dans la fête des voisins c’est qu’il y a juste l’ascenseur à appeler pour se barrer. Et cette fois-ci, il n’était pas en panne.

lundi, juin 05, 2006

Ecriture cache-misère

Je t’écrivais pour te plaire. Je croyais me racheter d’être si pauvre, de ne jouer d’autre instrument que la pipe, de n’avoir rien de particulier à mettre sur un CV. De parler une langue qui t’indiffère, de ne pas avoir lu Gracq, Nabe ni même Chateaubriand, de n’avoir été ni à l’école Alsacienne ni à Science Po, juste une vulgaire école de commerce, de ne pas retenir le nom des rues parisiennes, ni reconnaître les statues, d’être une étrangère même bien intégrée, une étrangère au quinzième, à tes codes, à la bourgeoisie intellectuelle que tu admires. Trop long de m’introduire à tout ça, même pas la peine d’essayer, tu ne peux que me reprocher mon manque de curiosité, comme si on pouvait reprocher à quelqu’un d’être mal né.
Et ta curiosité à toi pour tout ce qui n’est pas ton monde à cheval entre la beaufitude de la France profonde et la chianlise d’une élite sclérosée? J’avais beau le trouver étriqué, ton monde, j’étais pourtant prête à l’adopter, quitte à me perdre en chemin. Mais c'est toi que j'ai perdu.

Je ne veux plus m’accrocher, me cramponner, m’agripper à des mots pour te garder. De toute façon, je ne rentrerai jamais dans ton moule : il me manquera toujours quelques centimètres d’un côté, qui déborderont de l’autre. Ecriture cache-misère qui, à force de sublimer le quotidien, a fini par le rendre impossible.

Mon premier pas sur la blogosphère

Encore une nouvelle venue sur la blogosphère. J’avoue que je viens juste de découvrir ce nouveau media. Si, bien sûr, j’ai entendu parler du phénomène, ma collègue de bureau m’a montré son blog qui m’a fait sourire, non sans dédain. J’ai lu quelques articles, il y aurait 9 millions de blogs en France, j’ai levé un sourcil d’intérêt. Aussitôt baissé. C’est que, voyez-vous, j’avais une vie, moi, avant. Enfin, un amour à temps plein, qui m’accaparait entièrement, comblait tous les trous, ne me laissait d’autres loisirs que de le penser, le panser, l’écrire, l’aimer, le baiser et recommencer. Je n’avais pas le temps de surfer sur les humeurs de millions d’anonymes, ni l’envie. Encore moins de poster des commentaires de 3000 signes pour répondre à d’autres commentaires qui réagissent à un billet sur l’air du temps. Non, moi, mes commentaires, mes billets, mes signes étaient réservés à mon roumi.
Jusqu’à ce qu’il n’en veuille plus. Jusqu’à ce qu’il nous laisse, mes pauvres mots, mon cul et moi, errer sans maître, comme des chiens. Triple perte, double désarroi. Mon cul trouvera toujours preneur, ce ne sont pas les queues qui manquent, et pour le moment un repos biologique ne lui ferait pas de mal. Mais moi, je n’ai plus rien. Je suis vidée, asséchée, usée. Le tagine a cramé, calciné jusqu’à la moelle et je n’ai plus de feu. Je n’ai plus que ce fiel qui me consume.
Continuer à lui écrire sans retomber dans l’enfer de cette addiction, lui écrire, sans qu’il le sache, un blog anonyme, sur lequel il a une chance sur 9 millions de tomber, presque la même probabilité qu’on avait de se rencontrer, lui roumi ethnocentré, moi arabe fraîchement immigrée.
Je n’ai trouvé d’autre voie que ce moyen détourné pour me désintoxiquer, déverser toute cette amertume, vomir ces mots qui m’infectent, réduire en miettes ces misérables restes d’un amour pantagruélique. C’est moins cher qu’un psy, plus digne que Meetic, enfin je crois.