Brunchons brunchons
Dimanche, rendez-vous à 13h30 place du marché Saint-Honoré. Une table de trentenaires célibataires, amis d’amis à peine croisés. Paris vide crée des liens et je soupçonne E. de me draguer. Un vague soupçon qu’autorise l’incontournable prélude au jeu de séduction, le SMS : " ça te dit brunch demain ? Bises, E ". D’accord, c’est plutôt lapidaire mais c’est peut-être la faute à SFR .Peut-être un torrent de sensualité derrière cette face constipée. Aussi terne qu’un fonctionnaire à Bercy. C’est un fonctionnaire à Bercy.
Mais Paris vide, le désert de ma vie sans toi et un bronzage à exhiber. Même s’il faut faire la queue une demi-heure pour un brunch à trente euros dans un décor rutilant de Buddha Bar. Je dois faire des efforts, marquer la fin de l’autarcie où tu suffisais à me déborder. Faut créer des liens, un network, se fréquenter, se forwarder, se recommander, s’approuver, se renvoyer en miroir sa médiocrité. Je vais bien trouver des banalités à glousser. Les avantages comparés du club Med de Kemer et de Corfou ? Aucun avis sur le sujet. Le bronzage en cabine versus le bronzage nature. Là, je sèche encore. Vraiment asséchée. Sinon, il y a aussi les histoires de couple forcément ratées. La juriste qui a tout prévu dans son contrat de concubinage, parce qu’il faut se protéger. Elle a eu bien raison avec les prix de l’immobilier. La divorcée qui n’en finit pas de chanter sa liberté retrouvée, qui n’a de crédible que le décolleté. Platitudes rachetées par des rondeurs bien placées. Le romantique, tempes argentées, corps sculpté, qui rêve encore mariage, parce que le symbole et la vierge immaculée…
J’étouffe mes bâillements avec des viennoiseries. Et puis les phrases packagées, parce que c’est fatigant à inventer des phrases qui n’ont jamais servi, parce que nous on est épuisés, on fait du sport, la rando, le jet ski, le ski tout court, le VTT, le kayak et même escaladé le Kilimandjaro, et puis on a les moyens de s’offrir du prêt-à-penser. Et moi je pense à mes " Mémoires d’outre-tombe " traîtreusement abandonné. Eternel drame d’inadaptée. Aucune conversation. Pas de hobbies partagés, même pas d’histoire croustillante à raconter, j’allais quand même pas te donner en pâture à ces charognes d’amours décomposées. Bon OK, je vais louer le DVD de Desperate Housewives, 24h Chrono et Lost, ça fera toujours des références " culturelles " en commun. Est-ce que je suis absolument obligée de voir Camping et de trouver Bigard " très drôle quoiqu’un peu vulgaire " ? Non, décidément, je suis beaucoup mieux derrière mon écran, tant pis pour mon bronzage et mes jolies fringues d’été.