Un mois sans toi. Cette manie de marquer les mois, comme d’autres les années. Comment on dit anniversaire pour un mois ? Remonté au fil des mois de notre histoire qui en a compté presque 7 dont deux de trop. Me suis amusée (enfin, comme on s’amuse à se mutiler) à prélever mes premiers mails de chaque mois-anniversaire :
Le premier mois :
A l'aube de la cinquième semaine de notre rencontre, je crois qu'il s'impose de dresser un inventaire des dégâts, un bilan des préjudices corporels et moraux, dans une première tentative de chiffrer les dommages et intérêts que je ne vais pas manquer de te réclamer, preuves à l'appui, dans un procès que je pressens plein de rebondissements:
Tu m'as enculée avec ton nez, prise avec ta bite, branlée avec ton doigt, tes doigts.. Tu m'as pénétrée de toutes parts, rempli de ta substance et vidée de la mienne.. Tu as habité mon corps, envahi ma baignoire, salopé mes draps, perverti mon canapé, asservi mon rythme, dompté ma vie... tu as libéré mes mots, embelli mes mots…enhardi mes gestes, déchaîné mes envies, exalté mes mains, inspiré ma langue, aspiré ma langue, embué mon esprit... tu m'as possédée de la tête aux pieds, tu m'as dépossédée de ma tête, de mes pieds et du mètre et demi qui les sépare ! ! !
2 mois (quand je t'ai fait la surprise dans les annonces " entre nous " de Libé)
Toi roumi ethnocentré, moi arabe fraîchement immigrée. Rencontre improbable. Amour incandescent. Mes mots qui s’emballent … nos corps qui s’affolent. Deux mois que tu m’embrases…
3 mois ( de mes vacances au Maroc)
Hier soir, j’ai rembobiné les trois derniers mois : depuis la rencontre improbable d’un m&m’s esseulé et d’une luxuriante un peu blasée jusqu’à la soirée pizza Speed Rabbit et séance de sexe hard-corps digne de la chaîne X méditerranéenne bientôt sise à Tanger.
Trois mois et des poussières. Trois mois qui valent leur pesant de foutre. Mais aussi de tendresse, de fous rires, quelques larmes, pas beaucoup, des brins de doutes, inévitables, un petit chouya de talibaneries, pimentées, des moments d’agacements, fugaces, pas encore de lassitude, du moins de mon côté. Trois mois que tu as fait irruption dans ma vie toi, ton scoot, ton Vetiver, tes plans d’architecte et tes angoisses de nouveau père, si touchant. Trois mois que j’ai adopté ton rythme de vie, ta marque de café, que je subis tes assauts de boucher, que je suis en admiration devant tes talents de bricolo et tes dons de mécano, que je m’émeus de tes progrès en pidgin arabe qui démentent toutes les accusations d’ethno-centrisme certainement dues aux limites de jugement d’une bac+4.
A 1500 miles de distance (source : Royal Air Maroc), je me rends compte à quel point je suis devenue roumi-dépendante.
4 mois
75 pages, 32 000 mots, 184 000 signes, un petit roman décousu et inachevé, notre histoire en devenir.
Quatre mois et des poussières qui tiennent sur ces pages, qui se sont tissés au fil des mots. Des mots puisés de notre quotidien, qui l’ont inspiré, parfois même sublimé.
Des mots gratuits, des mots lourds de sens, des mots qui heurtent- les miens souvent -, d’autres qui demandent pardon, des mots que je ne peux que t’écrire, des phrases que je rêve t’entendre dire, des mots dont on ne parle plus.
Des mots pour te plaire, des phrases pour faire joli, quelques passages à vide, des coups de plume comme des coups de griffes, des embardées, des sorties de route, des suspensions inaperçues, des mots pour t’aimer, d’autres pour te le dire, des mots détournés, emballés, si peu remballés, des mots qui sonnent faux mais tombent juste, des phrases maladroites, béquillantes, des mots pour me faire aimer de toi.
Des mots crus, impudiques, qui sentent le sexe, qui chantent le sexe, des fantasmes pour te faire bander, des souvenirs mouillés, mon cul ton sujet, des verbes pour ta bite, des phrases lubriques, des mots qui baisent avec d’autres mots, des orgies de mots.
Des mots ciselés, des mots en vrac, des phrases qui dépassent, quelques envolées lyriques, un brin de ridicule, des mots pressés, approximatifs, des mots juste pour rire, fous rires partagés, des mots hésitants, murmures et chuchotis, des mots criants, presque vindicatifs.
Des mots recherchés, des mots que je passe des heures à trouver, d’autres qui s’imposent sans être invités, des mots douloureux, des mots légers, inconséquents, des mots adolescents, comme des cœurs sur l’écorce, des mots pour ne rien dire, des verbes inventés, des noms hybrides, des mots polyglottes pour t’impressionner.
Des mots qui comptent, qui nous racontent, des mots pour y croire, des provisions pour les moments de doute, des mots qui restent, qu’on ne peut balayer, des mots contre l’oubli, indélébiles et tenaces.
5 mois (le début de la fin)
Compliquée mais compliquée. Je m’offrirais bien une séance de méditation (une vraie cette fois) pour me débarrasser de ce mal-être qui me mine depuis quelques jours, faire la part de ce qui est réel et de ce qui n’est que le fruit de mes fantasmes cyclothymiques, mes bad trips, comme tu les appelles maintenant toi aussi, te voir toi autrement qu’en transposant toutes mes attentes plus ou moins exprimées, plus ou moins comprises (plutôt moins que plus), encore moins assouvies.
Ce n’est pas un reproche cette fois-ci, juste un aveu d’impuissance. Nos modes de fonctionnement sont tellement différents : je crois bien déceler un début d’agacement face à mes crises récurrentes. Pourtant, tu ne me critiques jamais ouvertement et spontanément. C’est vrai que ton tempérament pacifique et consensuel est plutôt une qualité dans un pays où il ne faut surtout pas faire de vagues, c’est ce que tu appelles " être facile à vivre ". Evidemment je ne te demande pas de reproduire mes défauts, ce côté râleur et toujours insatisfait qui assène des jugements tranchants et souvent excessifs. Ce que je te demande juste c’est d’être plus direct, plus franc. Que je n’aie pas à me triturer l’esprit à l’affût de ce qui te déplaît. Par défaut, tout silence devient réprobateur, tout non-compliment devient critique, toute absence de tendresse devient agacement. Je ne peux évidemment pas te tenir responsable de mes délires de paranoïa, ce serait pour le coup injuste. Je veux juste que tu comprennes que quand je te demande de me rassurer, ce n’est pas une coquetterie.
D’autant plus que ton déménagement me rend les choses plus difficiles, et pas que du seul point de vue logistique. C’était naturel pour moi de te recevoir tous les soirs, ça l’est beaucoup moins de prendre mon sac et de débarquer chez toi, sans que je me sente vraiment désirée. C’est ridicule après tout ce qu’on a vécu, mais j’ai eu tout de même l’impression de m’imposer hier soir, avec ma valise de la semaine. Je suis gênée de squatter tes cintres, d’exposer mes produits de toilette dans ta belle salle de bain…J’imagine que ça va passer, il faut juste que je me donne le temps de prendre mes marques : entre l’amante itinérante et la compagne disponible (indispensable ?). Une période d’adaptation est nécessaire, j’espère juste qu’elle ne sera pas trop longue.
Ton déménagement, en marquant la fin de ta vie d’escargot devait aussi marquer celle de ton statut de blessé de guerre prioritaire. D’où mes attentes, non pas d’un renversement de situation (quoique), mais au moins d’un rééquilibrage qui verrait mes propres problèmes (le dépôt de bilan de ma boîte, excusez du peu) prendre le pas sur les pannes de lave-linge…
J’en arrive à me demander si on a réussi nos premiers mois malgré ta situation difficile ou parce que ta situation difficile justifiait pour moi tous les efforts, dans un seul sens, croyant à la version de " l’égoïste malgré lui et à l’insu de son plein gré "…
Remarque ça n’aura pas été la première fois que je surmonte le plus difficile pour rater magistralement le plus facile (c’est mon tout-ou-rientisme)
Je suis avide, et pas qu’une baiseuse avide. Je t’en demande peut-être trop. Il y a un très beau vers en arabe pour dire " on ne peut donner ce qui nous fait défaut ", et je ne t’en voudrais pas si tu n’as pas assez d’amour à donner. Mais je ne pourrais pas m’en contenter.
6 mois (la première fin : ton délit de fuite)
Prends tout le temps qu’il te faut et ne te sens surtout pas obligé de quoi que ce soit envers moi : tu ne me dois rien, je te dois tellement. Rappelle-moi quand l’envie (je n’ose pas dire l’amour) renaîtra, si elle renaît un jour. Autrement, je garde le meilleur, et c’est déjà beaucoup. Je t’aime.
6 mois et deux semaines (la fausse reprise)
Mon roumi m’est revenu. Pas pour toujours, pas pour une nuit. Pour un mois peut-être, une transition après la transition, peu importe. Autant de bonheur à prendre. Tu ne vas pas faire la fine bouche. Il sera toujours temps de pleurer…après.
Mon roumi m’est revenu. Sans poser de questions, sans répondre aux miennes. Les joues en flamme, le corps fébrile, un incendie dans les yeux… et ma volonté en cendres. Pas de regrets, pas de promesses, juste un désir impérieux, amnésique, qui n’a pas à se justifier.
Mon roumi est revenu, comme la Mathilde de Brel. " Et vous mes mains ne tremblez plus, souvenez-vous quand j vous pleurais dessus"… Mais c’est trop tard, comme dans la chanson. Les draps sont déjà défaits, tous contents de retrouver le foutre de mon roumi.
6 mois et trois semaines : la vraie fin
Nous avons le regret de vous informer que Mademoiselle Houda a définitivement fermé ses portes. L’établissement a fait faillite en raison d’une malgestion qui a gravement compromis sa rentabilité et mené à la cessation d’activité. Directement mise en cause, la politique commerciale du boxon consistant à octroyer un crédit illimité et sans aucune garantie à son client unique qui en a usé et abusé sans scrupule, certains diraient sans vergogne, causant la ruine de la boîte.
La gérante assume pleinement les effets de cette politique désastreuse, dont la naïveté confine à la niaiserie, et en tire les leçons idoines. Elle présente ses sincères mais vaines excuses à ses bailleurs de fond (son cœur et son cul), de les avoir entraînés dans cette aventure ingrate, ainsi que de les avoir involontairement bernés en leur faisant miroiter un retour sur investissement à la mesure du risque encouru.